Cancer du chien interview de Benoit Hedan du CNRS de Rennes

Lisez ce bel article de Benoit Hedan sur le sarcome histyocitaire, qui donne de l'espoir sur la longévité de nos chers bouvier bernois :
Interview Cancer du chien :
(article extrait de L’ACTU.fr du 23 avril 2024)
“Nous tenons une piste pour le diagnostiquer avec une prise de sang”.
Certaines races de chiens sont prédisposées génétiquement à des cancers. Benoît Hédan, du CNRS de Rennes (Ille et-Vilaine), nous explique où en est la recherche scientifique.
Benoît Hédan est ingénieur de recherche au CNRS de Rennes et travaille depuis 20 ans sur le lien entre génétique et cancer chez le chien.
La Chronique Républicaine Par Rémi Charrondière Publié le 23 avr. 2024.
À l’Université de Rennes (Ille-et-Vilaine), une équipe travaille sur la génétique du chien en tant que modèle pour la maladie humaine.
Rattachée à l’IGDR (Institut de génétique et développement de Rennes), elle est composée d’universitaires, mais aussi de membres du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale).
Benoît Hédan est l’un d’entre eux, pour le CNRS. Cet ingénieur de recherche, vétérinaire de formation, se penche depuis vingt ans sur l’origine génétique des maladies canines. Il nous livre des éléments de compréhension sur les prédispositions de certaines races à un cancer nommé sarcome histiocytaire, ainsi que sur les découvertes actuelles.
Qu’est-ce que le sarcome histiocytaire ?
Il s’agit d’un cancer des cellules immunitaires, très rare chez l’homme et méconnu : on estime qu’il y a entre 5 et 30 cas par an, en France. Mais chez le chien, il est très fréquent dans quelques races : le bouvier bernois particulièrement, ainsi que le flatcoated retriever.
La tumeur se développe sous deux formes. Sur les flatcoated retrievers, c’est souvent au niveau des articulations, ou de manière sous-cutanée au niveau musculaire. Mais elle peut aussi être disséminée dans plusieurs organes internes comme la rate, le foie, les poumons, les nœuds lymphatiques.
Chez les bouviers bernois, la tumeur se développe plutôt sur les organes internes que je viens de citer. Mais c’est un cancer qui, quand il touche les organes internes, n’est pas facile à diagnostiquer car il n’y a pas forcément de symptôme spécifique en amont. Le chien peut commencer à maigrir et à moins bien manger, tousser s’il a une masse aux poumons, avoir un peu d’anémie s’il a la rate qui est touchée, mais de façon générale, il n’y a pas de symptôme d’appel très spécifique.
D’après vos recherches, ce cancer est lié à des prédispositions héréditaires.
En effet. Chaque race a des prédispositions et des maladies héréditaires différentes. Il y a des bases de données qui les répertorient parmi les espèces domestiquées et on se rend compte que c’est le chien qui a le plus de maladies héréditaires décrites.
En plus de cela, il y a de fortes mortalités dues à des cancers, en fonction des races. On estime que le taux de décès par cancer est entre 15 et 30 % des chiens, selon les études. Et quand on regarde de plus près, de nombreuses races prédisposées ressortent, comme le bouvier bernois ou le flatcoated retriever. Dans certaines de ces races, cela peut aller jusqu’à 50 % des décès déclarés dus à des cancers.
On se rend également compte que les prédispositions à des maladies ou cancers ne sont pas les mêmes en fonction des races. Le caniche va plutôt être atteint par des mélanomes buccaux, le boxer va plutôt faire des gliomes, des mastocytomes ou des lymphomes. Derrière, il peut y avoir des environnements différents mais ce sont surtout des gènes, différents en fonction des races, qui fragilisent l’animal et le prédisposent à développer tel ou tel cancer.
Comment expliquez-vous ces prédispositions ?
Lorsque le chien a été domestiqué à partir du loup, on a perdu en diversité génétique. On parle de goulet d’étranglement. Ce phénomène s’accélère au moment de la création des races, au XIXe siècle. Chaque race peut être considérée comme une grande famille, sans apport génétique de l’extérieur, ce qui augmente le risque de consanguinité. Les mariages consanguins au sein de ces familles augmentent le risque d’apparition de maladies héréditaires.
Peut-on donc dire que la sélection favorise les cancers ?
À force de faire de la sélection sur des critères de beauté et de championnat, on augmente le risque de sélectionner aussi des mutations impliquées dans le risque de développement de maladies héréditaires et de les voir s’exprimer, que ce soit un cancer ou autre.
Je dirais que la sélection peut être amélioratrice sur un point et défavorable sur d’autres. Tout dépend de l’esprit de l’éleveur et du club : s’ils veulent améliorer la dysplasie ou le caractère du chien, il peut être difficile en même temps de travailler sur l’amélioration de la longévité. C’est un point très compliqué car les améliorations reposent sur plusieurs gènes et certaines sélections sur un caractère peuvent être défavorables pour d’autres.
Il y a donc un équilibre à trouver, qui était surtout orienté, et depuis longtemps, sur la beauté et pas forcément sur la santé globale de l’animal. Mais c’est clairement en
train de basculer. On le voit avec les clubs avec lesquels on travaille, où il y a une prise de conscience depuis plusieurs années.
Les éleveurs en sont conscients et travaillent sur la sélection pour améliorer cela, mais il va falloir beaucoup de temps pour revenir en arrière.
Quel est l’impact sur la longévité des chiens ?
Avec le test génétique de risque développé chez le bouvier bernois, on différencie trois catégories de chiens, selon leurs prédispositions : A (pas à risque), B (neutre), C (à risque). La moitié des chiens C meurt autour de 8 ans et demi, alors que la moitié des chiens A est encore en vie après 11 ans.
Si on prend le flatcoated retriever, sa longévité est un peu meilleure que celle du bouvier bernois, avec un pic d’arrivée du cancer à 6-7 ans et un deuxième pic plus important à 9 ans, donc plus tardivement que le bouvier bernois. C’est ce qui fait que les éleveurs s’en sont moins inquiétés. Mais c’est une race qui pourrait vivre 13-14 ans sans aucun souci, vu sa taille et son poids.
De quand date la connaissance de ce problème ?
Le problème du sarcome histiocytaire chez les flatcoated retrievers et les bouviers bernois a été décrit pour la première fois dans les années 1980-1990, aux États-Unis. On le retrouve aussi sporadiquement dans beaucoup d’autres races, mais pas avec cette même fréquence. On estime qu’un quart des bouviers bernois sont prédisposés à faire ce cancer.
Comment travaillez-vous ?
Nous avons commencé notre étude en 2003, avec le club des bouviers bernois, pour essayer de comprendre la prédisposition à cette maladie. Ce sont de longues études puisque nous avons fait nos premières publications en 2012.
Nous avons comparé des centaines de chiens atteints à des centaines de chiens sains. Le chien sain est celui qui a vécu un certain âge (plus de 10 ans) et qui a dépassé les âges à risque pour ce type de cancer. Le chien atteint est celui pour lequel un vétérinaire a diagnostiqué ce cancer avec certitude et non un autre, en faisant analyser histologiquement la tumeur au microscope.
Nous regardons donc les marqueurs répartis sur l’ensemble des chromosomes, pour essayer d’identifier ceux qui varient entre les chiens sains et atteints. La découverte d’une différence signifie que le chromosome est porteur d’une prédisposition qui augmente le risque de développer ce cancer.
Mais pour le flatcoated retriever, nous avons un gros manque de cas et de contrôles parce que c’est une race à très faible effectif, alors que nous avons besoin de centaines de chiens sains et de centaines de chiens atteints. Aujourd’hui, nous n’avons des échantillons que pour une trentaine de chiens de chaque catégorie.
Pour pallier ça, nous essayons de travailler avec d’autres laboratoires et d’autres équipes, anglaises et américaines notamment, pour regrouper nos données. Nous continuons aussi à collecter des échantillons. Mais l’avantage, c’est que certaines régions chromosomiques que nous avons identifiées sont communes au bouvier bernois, au rottweiler et au flatcoated retriever. Cela nous permet de tirer des informations du bouvier bernois et les appliquer au flatcoated retriever. Même si, pour certaines régions plus spécifiques à ce dernier, nous manquons cruellement d’échantillons pour faire des statistiques.
Ces échantillons, quelle forme prennent-ils ?
Ce sont des tubes de sang, que les particuliers et vétérinaires nous envoient quand ils ont des chiens malades. Certains éleveurs nous font systématiquement les prélèvements de toute leur portée. Dans ce cas, on les stocke et on suit les chiens pendant 10 à 12 ans, en demandant aux éleveurs et propriétaires de nous donner des nouvelles du chien. Si on apprend qu’il a vécu 13-14 ans, on l’utilise comme témoin sain pour plus tard. Si on apprend qu’il a développé un cancer à tel âge, on espère qu’il y aura eu une analyse histologique qu’on puisse récupérer pour l’utiliser comme un chien malade.
Ce sont vraiment des travaux de longue haleine, qui nous obligent à stocker un grand nombre d’échantillons, alors que seuls 2 à 3 % sont exploitables à terme.
Certains vétérinaires réalisent aussi des prélèvements sur des chiens décédés, pendant l’autopsie, et nous les envoient. Ils nous permettent de confirmer de quel cancer il s’agit et d’analyser les tumeurs. Pour cela, nous essayons aussi de les mettre en
culture et nous les faisons pousser. Elles peuvent notamment être utilisées pour tester des traitements.
À l’heure actuelle, quelles découvertes avez-vous faites ?
Nous avons identifié des régions prédisposantes à ce cancer, chez le bouvier bernois et le rottweiler, qui sont plus ou moins communes avec le flatcoated retriever.
Chez ce dernier, nous avons trouvé deux régions majeures de prédisposition, entre nos travaux et ceux d’une équipe américaine. Mais ce n’est que le haut de l’iceberg et on sait, avec le travail réalisé sur le bouvier bernois, que plus on rajoute de chiens, plus on se rend compte de l’impact d’autres régions secondaires dans la compréhension de cette prédisposition. D’où la nécessité d’avoir de grandes séries de chiens.
Quelles sont les applications de vos découvertes pour le chien ?
En identifiant les régions prédisposantes, nous avons développé un test génétique pour le bouvier bernois en 2012, commercialisé par le laboratoire Antagene. Ce test est vendu aux éleveurs qui l’utilisent pour dépister les chiens à risque et adapter les mariages.
L’objectif n’est pas d’éliminer tous les chiens les plus à risque, parce qu’ils représentent 20 à 30 % de la population générale et si on les élimine, on va perdre en diversité génétique et on va fusiller la race.
Donc il faut y aller doucement pour réduire, de génération en génération, le risque au sein de chaque fratrie. Pour cela, les éleveurs de bouviers bernois ont des outils qui leur permettent de faire des simulations et voir quels chiens sont compatibles pour limiter les risques. Cela a déjà permis de travailler sur la longévité et on commence à voir une amélioration globale.
Désormais le test s’est amélioré, nous avons de nouveaux marqueurs à ajouter pour affiner mais c’est déjà une première approche et nous voudrions maintenant le développer aussi pour le flatcoated retriever.
Nous tenons également une piste pour diagnostiquer le cancer avec une simple prise de sang, potentiellement avant l’arrivée des symptômes. Les premiers travaux que
nous avons réalisés avec l’école vétérinaire de Nantes montrent qu’on est en moyenne capable de diagnostiquer le cancer environ 6 mois avant son apparition.
L’idée d’après sera de pouvoir le traiter le plus tôt possible, mieux le prendre en charge et mieux le soigner parce qu’à l’heure actuelle, on arrive pour certaines formes prises précocement à améliorer la survie de l’animal de presque un an. Mais sur les autres formes, si on le prend trop tard, on a une espérance de vie de quelques semaines à un mois. Malgré tout, on n’arrive pas à traiter ce cancer, c’est juste un sursis. Car il est vraiment très agressif et au bout d’un moment, il gagne contre la chimiothérapie.
Et quelles sont les applications pour l’homme ?
Il y a deux niveaux. Pour celui des marqueurs prédisposants que nous avons trouvés, il y a peu de chances qu’ils constituent une information pour la médecine humaine, parce qu’il n’y a pas la même consanguinité et pas cette prédisposition-là. En revanche, d’un point de vue fondamental, ils permettent de savoir que tel ou tel gène est important dans le développement de ce cancer et donc peut-être peuvent-ils essayer des traitements qui ciblent ces gènes.
Mais ce que nous voyons, nous, c’est que des mutations sont vraiment dans la tumeur et sont donc apparues au cours de la vie et du développement de cette tumeur. Ce sont ces mutations-là qui peuvent être utilisées pour mettre en place de nouveaux traitements. Et en médecine humaine, à l’heure actuelle, ils n’ont pas de traitement efficace contre ce type de cancer. Il y a des essais cliniques aux Etats-Unis sur le bouvier bernois avec un médicament. S’il marche, on pourra le tester aussi en médecine humaine. Et si ce n’est pas suffisant et qu’il faut faire un combinatoire, on pourra apporter de l’expérience vétérinaire pour la médecine humaine, pour traiter les rares cas.
Un point est aussi intéressant : en France, il y a 2 000 à 3 000 naissances de bouviers bernois par an. On estime qu’un quart des chiens vont développer ce cancer. En trouvant de nouveaux traitements pour eux, cela permettra de tirer de l’information de ces essais pour la médecine humaine. Parce que les 10 à 30 cas annuels chez l’humain, en France, ne permettent pas de tirer une bonne expérience et de déterminer un traitement.
À noter : toute personne qui souhaite plus d’informations ou envoyer des échantillons peut contacter Benoît Hédan par mail : benoit.hedan@univ-rennes.fr